Exposition 

art contemporain dans l’espace public

une plateforme pour réfléchir à demain

 

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OPEN END 2  (2022)

Open End 2 « Renégociation »

Cimetière des Rois, Genève
du 16 septembre 2022 au 31 janvier 2023
Vernissage le jeudi 15 septembre 18h 
en présence des autorités de la Ville de Genève
 
18 artistes internationaux et locaux 
18 œuvres et installations originales sur le thème de l’immortalité et les ressources naturelles

 

QUESTIONNEMENTS VERTIGINEUX DANS LE TOURBILLON DE LA VIE

CHRISTINA KITSOS

Conseillère administrative, en charge
du Département municipal de la cohésion
sociale et de la solidarité

Les cimetières sont des lieux de mémoire et de passage. Celui des Rois a en plus la particularité d’être le témoin de l’histoire genevoise. Calvin et borges y reposent, aux côtés de Jeanne Hersch et d’André Chavanne, de Rodolphe Töpffer et de Jean piaget, d’Alice Rivaz et de Grisélidis Réal, notamment. Avec Open end, il devient aussi un lieu exceptionnel de réflexion et de recherche sur des enjeux de notre temps, comme l’épuisement des ressources et les dérives des nouvelles technologies. Pris dans le tourbillon du numérique, l’art contemporain bouscule notre rapport au monde et interroge nos modes de pensée, nos temporalités éclatées et notre capacité à faire de vraies rencontres. En proposant des approches artistiques inspirantes, surprenantes, jouant souvent avec l’humour et l’autodérision, les artistes réunis par l’Association dART entendent aiguiser notre regard sur des objets du quotidien, sur des symboles funéraires. Cet espace-temps offert est propice à l’analyse et aux questionnements sur la vie et la mort. Le recueillement et l’hommage personnel aux défunt.e.s deviennent dès lors un point d’ancrage de problématiques culturelles, sociales, politiques qui nous confrontent à notre condition humaine, à nos vulnérabilités et à notre engagement collectif. Open end nous oblige à voir au-delà des œuvres, ouvrant un champ infini d’interprétations sur nos liens à ce lieu si singulier – le cimetière – sur l’émergence de nouveaux rituels, sur notre besoin de solidarité ou encore la quête désespérée de certaines formes d’immortalité.

Microlyten,
sinds
Steinchen.
der Stein ist das Andere,
das extra-human,
Mit seinem Schweigen
Gibt er dem Sprecher
Richtung und Raum
Paul Celan, prosa aus dem nachlass

Ce sont
des microlithes,
des petites pierres.
La pierre est l’Autre,
L’extra-humain,
Avec son silence
elle donne au parlant
direction et espace
Paul Celan, proses posthumes

« Aréalité » est un mot vieilli, qui signifie la nature ou la propriété d’aire (area). par accident, le mot se prête aussi à suggérer un manque de réalité, ou bien une réalité ténue, légère, suspendue : celle de l’écart qui localise un corps, ou dans un corps. peu de réalité du « fond », en effet, de la substance, de la matière ou du sujet. mais ce peu de réalité fait tout le réel aréal où s’articule et se joue ce qui a été nommé l’archi-tectonique des corps. en ce sens, l’aréalité est l’ens realissimum, la puissance maximale de l’exister, dans l’extension totale de son horizon.

J. L. Nancy, Corpus

LUCA DEPIETRI

dramaturge

RENÉGOCIATION

La sculpture et la mort, telles des vieilles amies, se promènent depuis toujours en ruminant autour des abîmes et apories de l’existence. Elles parlent entre elles un dialecte « de leurs pays » là où le paysage est dominé par l’inanimé et le silence. elles parlent déjà entre elles depuis toujours et nous ne sommes pas toujours invités à participer au dialogue. Les cimetières sont leur maison commune, là ou leur dialogue sans fin s’est sédimenté en une langue, s’est articulé en une histoire, là où l’homme les a organisées durant des siècles pour pouvoir décrypter leurs discours, pour pouvoir « écouter aux portes » leurs conversations, à la recherche, peut-être, de quelques indices indiscrets quant à son propre destin.

La tombe est peut-être la première forme de sculpture à proprement parler et peut-être que la sculpture ne peut essentiellement produire que des tombes. Dans le cimetière, la sculpture offre une maison à la mort, un corps
et une voix, et la mort l’imprègne de la force de sa parole. quant à nous, le cimetière nous permet de « tendre l’oreille » vers cette parole mystérieuse et essayer de comprendre l’histoire que les deux vieilles amies se racontent. et comme c’est le cas entre vieilles amies, la mort et la sculpture ne font que parler d’elles-mêmes. Open end 2 se présente comme une conversation décomplexée et libre entre la mort et la sculpture aujourd’hui. L’art contemporain dans les cimetières se présente comme étant l’indice d’une ambiguïté de fond entre vie et mort, une ambiguïté qui se fait de plus en plus manifeste dans notre époque. Le constat, d’une part, de la finitude des ressources, et, de l’autre, l’imminence d’un dépassement del’inévitabilité même de la mort (immortalité/amortalité), mettent l’être humain face à la nécessité de renégocier celle qui était, jusqu’à aujourd’hui, une frontière apparemment inébranlable entre vivant et non-vivant, et qui fondait notre rapport au réel. La pensée de la mort connaît aujourd’hui un moment de renégociation sans précédent, un point d’ambiguïté maximal qui rend parfois indiscernable la réalité de la fiction, la fantaisie du constat, la foi de la connaissance, l’immanent du transcendant, le sacré du profane. Dans ce flou, les scénarios qui modélisent le monde de demain sont encore bien fragiles, ils ont très peu de substance, ils n’ont, pour ainsi dire, que la force de la simulation et de la spéculation pour exister. Mais c’est précisément là où rien n’est nécessaire et rien n’est impossible, qu’émerge un monde de pure possibilité, que le sens et la finalité de la vie humaine peuvent être reconsidérés, que les aberrations de notre
société peuvent être adressées sans être prises pour nécessaires, que le passé peut être réinterrogé et le futur réinventé. si la mort est une fin, il convient ici de penser à partir de la fin, c’est-à-dire conscient du fait que, où qu’on déplace cette limite, elle changera le paysage passé et futur. Dans une telle perspective, suite à une telle renégociation, il n’y a
qu’une possibilité qui est évacuée, celle que rien ne change.

OPEN END 2

FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Écrivain

L’IMMORTALITÉ ET LA NATURE

Le rêve de vie éternelle n’existe pas dans la nature. Toutes les créatures vivantes finissent par mourir. L’idée de résurrection a fait le succès de toutes les religions, en donnant un espoir aux désespérés. La situation actuelle de la planète Terre est inquiétante. L’être humain est sur le point de devenir immortel grâce aux nouvelles technologies, malheureusement il a trop abîmé l’environnement pour pouvoir profiter de sa récente longévité. en gros : nous avons été trop égoïstes, nous avons pensé à notre propre confort sans préserver notre cadre de vie. dans la Genèse, dieu conseille à Adam et eve : «Remplissez la terre et soumettez-la». sur ce point précis, dieu a été intensivement obéi.
La seule solution qui reste désormais à l’homme pour prolonger son existence est de déménager sur mars ou de devenir un robot. Dans les deux cas, son existence n’aura rien de comparable à celle qui fut la sienne depuis 300.000 ans. Les post-humains génétiquement reprogrammés seront connectés avec des ordinateurs à roulettes se déplaçant sur un caillou rouge dont la température moyenne est de -63 degrés centigrades. Ça a l’air sympa mais je crois que je préfère rester
mortel.

VINCENT DU BOIS

Artiste & membre fondateur Open end

OPEN END

Open end est une installation artistique qui utilise le cimetière comme base de réflexion sur l’évolution de nos sociétés. L’art s’efface silencieusement des cimetières, vaincu par de nouvelles forces de production et de nouveaux rapports à la mort. Open end, qui voit dans le cimetière le miroir un peu brisé de notre temps, est particulièrement attaché à utiliser l’art dans sa vocation première, à savoir comme outil de questionnement. Ainsi Open end s’intéresse autant au passé et à la mémoire qu’au futur et aux phénomènes qui s’apprêtent à remodeler nos sociétés.

Le groupe dART, assemblée multidisciplinaire principalement constituée d’artistes et qui pilote les expositions Open end, abat donc les frontières entre les disciplines et invite régulièrement tous les acteurs susceptibles de nourrir les recherches sur les grands thèmes de demain à rejoindre ce laboratoire. Ainsi, outre le travail avec les artistes, des rencontres et des ateliers entre professionnels et écoles s’organisent autour des thèmes qui font l’actualité et qui sont les vecteurs de demain.

Après une première édition consacrée à re visiter les rituels (2016-2017), la seconde édition propose d’utiliser ce lieu de mémoire pour parler du futur. mais le cimetière restant aussi le lieu du mystère et des questions sans réponses, cette seconde édition de Open end tourne son regard sur la confrontation qui opposent les technologies énergivores à l’effondrement des ressources et choisit le double thème de l’immortalité et l’environnement. pour l’occasion les artistes ont conçu des œuvres expressément sur ces questions. entre la fuite individuelle vers l’avant que cherche la science à offrir à nos corps et l’effort collectif imposé par le nécessaire refondement de nos rapports à la nature, les artistes ont dû se positionner. Au cœur de la course vers la modernité se heurtent ainsi des mouvements contradictoires. d’énormes investissements nourrissent les nouveaux secteurs ultra technologiques capables du mieux comme du pire. Tantôt chatouillant les travers de la nature humaine, entre avarice et angoisse de finitude, tantôt ouvrant de nouveaux horizons durables; le progrès est aussi le champ de tous les possibles. Ces révolutions vont dans tous les cas générer de nouvelles consciences. se consacrer à soi-même ou à un effort solidaire dans un agenda aux allures de compte à rebours, telle est la question que posent ces deux projets contradictoires.

Dramatique ou positive, cette page passionnante de notre histoire qui est en train de s’écrire, l’art doit s’en saisir.

Cimetière des Rois

Genève